Entrer en conversation avec les parents qu’on croise à l’hôpital des enfants, c’est toujours délicat. En réa pédiatrique, les chambres sont individuelles et les cas plutôt lourds. Du coup c’est chacun sa vie, et c’est déjà suffisamment lourd à porter. Mais en « néonat’ », quand on passe des semaines dans une chambre de 4 voire 10 bébés, même s’il y a du turn-over (certains bébés ne restent que quelques heures), on croise petit à petit des visages familiers qui s’installent dans la durée, toujours trop longtemps, dans ce satané service.
Mieux vaut y aller avec des pincettes car ça peut être rude. Le sujet principal, c’est le terme de naissance (SA= semaines d’aménorrhées). Mon premier étant né à 30SA+6j, je me souviens avoir eu le sentiment que tous ceux qui sont nés plus tôt étaient des miraculés, tandis que tous ceux nés après évoluaient très vite vers la sortie. Bien sûr, c’est bien plus compliqué que cela puisqu’on peut naître à 33 SA en ayant des séquelles durables, et on peut naître à 28 SA et être en pleine santé après quelques mois. Tout dépend de tellement de facteurs différents.
Parfois on s’épanche un peu plus. Toi t’as passé toute ta grossesse alitée, toi t’as perdu un jumeau et tu te bats pour le second, toi ça fait 3 mois que t’es là. Toi t’as accouché par voie basse, toi tu as fait une pré-éclampsie, toi t’as la maladie de Crohn, toi tu dois gérer tes 5 autres enfants à 200 bornes de là. Toi t’as 17 ans, toi t’as des cheveux blancs, toi le père s’est barré, toi tu venais d’arrêter l’alcool, toi t’es médecin et tu te retrouves de l’autre côté. Toi c’était une FIV, toi tu dors dans ton camion, toi ton bébé va super bien, toi tu pleures tous les jours, toi tu ne viens que la nuit pour ne voir personne, toi on te voit jamais.
En fait au-delà de toutes ces différences, nous les parents de prémas partageons beaucoup de choses. Le deuil d’une fin de grossesse, des préparatifs de la chambre, de la valise de maternité, deuil d’un bébé joufflu, d’un retour à la maison en famille, d’un choix de prénom dans le calme. Deuil d’avoir eu le temps de se réjouir de la naissance à venir. Pour certains le deuil tout court. Alors on se retrouve dans nos combats du jour, ou plutôt le combat de nos bébés, car ce sont eux qui luttent désormais. Un pourcent de gagné sur le taux d’oxygène. Une heure de plus sans assistance respiratoire. 30 grammes de pris. La première gorgée de lait. Le premier body (toujours trop grand). Le passage en table puis en berceau.
Si toute naissance est un bouleversement, ces naissances-là laissent des cicatrices indélébiles. Le premier que j’entends dire « la grossesse, c’est pas une maladie » ou à une femme enceinte « tu t’écoutes trop » j’ai envie de le gifler. Quand des amis m’ont annoncé qu’ils attendaient des jumeaux alors qu’on sortait à peine de l’hôpital, j’ai eu du mal à me réjouir (enfin eux aussi je crois haha), j’étais terrorisée pour eux après n’avoir croisé que des cas difficiles. On voit tout l’univers de l’accouchement et de la naissance au travers de lunettes déformantes suite à cette immersion au pays des poids plume.
On a aussi tendance à faire un tri drastique entre le futile et l’essentiel sur ces sujets-là. Un brumisateur dans ta valise de maternité ma chérie ? euh, bah prends rien ça marche aussi… En rentrant de l’hôpital je me rappelle être tombée sur une émission des Maternelles sur France5 où il était question d’accouchements qui ne s’étaient pas passés comme prévu. Une dame avait fait un projet de naissance (wouaaaaah ça doit être génial…) et puis finalement le staff de l’hôpital l’avait forcée à mettre une blouse alors qu’elle souhaitait porter ses vêtements. Et alors ? Ben rien en fait, c’est ça qu’elle avait mal vécu. Je suis restée bouche ouverte devant ma télé pendant 5 minutes pour être sûre que j’avais bien compris. Pour l’urgence vitale tu te dis juste : sortez-le de là vivant.
Ah oui, et mon Vietnam à moi c’est quoi ? C’est ce que ni mon cœur ni ma chair n’auront oublié quand j’aurai 101 ans. Avec papa chéri, on se dira : « tu te souvieeeeeeens ? »
- Novembre 2014. Le grossesse se passe bien, un petit diabète gestationnel mais rien de grave. Arrêtée par précaution à 28SA car bébé appuie un peu sur le col. Et ce mercredi soir, je « fuis ». Appel aux urgences. Vérification. Observations. Légère rupture de la poche des eaux. Contractions. C’est parti, tout s’enchaîne, on ne contrôle plus rien, on n’est pas prêts, je n’ai même pas vraiment compris que j’allais accoucher tellement ça paraissait improbable. Je n’avais même pas conscience que ça pouvait arriver. Et on s’est retrouvés avec une crevette d’1,4 kg, à 30SA +6j. La claque. Le risque vital, les questions sans réponses sur les séquelles, les échographies du cerveau « à vérifier »….
- Août 2016. Grossesse très surveillée, pas vraiment épanouissante vu le nombre de contrôles mais peu importe. A part un diabète gestationnel plus marqué que pour la première grossesse, tout va bien, aucune alerte. Jusqu’à ce jeudi soir, une perte de sang. Appel aux urgences. Il faut y aller rapidement (je vous dis pas l’angoisse de ne pas sentir le bébé bouger, les minutes les plus longues de notre vie). Arrivée un peu tendus, notre fils embarqué dans l’urgence ne s’est pas réveillé. Bébé respire. Je respire. Puis je fais un malaise. « On va vous faire une césarienne d’urgence madame » (c’est bête mais à ce moment-là je suis contente qu’on m’ait prévenue contrairement au premier accouchement où je n’ai rien compris). Je me rappelle avoir murmuré « ok » en clignant des yeux, genre je suis pas très chaude mais faites au mieux. Cette fois j’ai compris, je sais qu’on peut accoucher en avance et qu’ils savent faire. Anesthésie générale. L’heure de naissance est 15 minutes après avoir donné ma carte vitale, à 32SA+1j. On apprendra le lendemain que c’était un hématome rétro –placentaire, et que le taux de décès pour est de 50% pour les bébés dont les mamans sont déjà hospitalisées. J’ai dû me répéter 1000 fois : « mais on n’accouche pas en 15 minutes enfin ! ». Il faut dire que sous AG, tu ne vois rien, tu ne sens rien. Tu te réveilles le ventre vide sans bébé, t’as juste l’impression d’être passée sous un train. Encore une crevette de 1,5kg cette fois. Je suis choquée. Je fais des cauchemars pendant une semaine. Par contre en néonat’, on est plutôt détendus grâce à notre fille en bonne santé et un environnement qu’on commence à maîtriser…
Oui, on a eu deux grands prémas sur deux. Je crois que niveau statistiques, la probabilité est quasi nulle d’enchaîner une rupture prématurée des membranes et un hrp inaugural, deux cas qui n’ont rien en commun et imprévisibles malgré un gros suivi. La gynéco a hésité. Vraiment pas de bol. Ou vraiment du bol quand on voit nos enfants aujourd’hui.
Car finalement les combats s’achèvent. Le suivi est toujours là, on reste vigilants car on sait que certains soucis sont détectés plus tard mais je crois qu’on peut dire aujourd’hui que tout va bien pour nos deux enfants de bientôt 3 ans et un an. Ça paraît dingue quand j’y pense : tout – va – bien. Alors quand j’aurai 101 ans, c’est de ça que je veux me souvenir. Et si vous êtes à l’hôpital aujourd’hui, en plein combat, essayez de garder espoir. C’est possible. Et c’est surtout cela que je voulais vous dire, malgré les cicatrices.
Commentaire
[…] telle urgence absolue qu’il reste lui aussi un choc, d’une plus grande violence que le premier (plus d’infos ici), toutefois la suite a été plus simple. J’ai retenu mes larmes en apportant son gâteau, ce qui […]